Nos défaites : docu d’une génération pas si désenchantée

 

Nos défaites, un documentaire construit avec un groupe de lycéens qui met au jour l’apolitisme de la jeunesse d’aujourd'hui face à celle de Mai 68, tout en faisant advenir une réflexion sur ce fossé.

« Mais au fait, Godard, il a des héritiers dans le cinéma contemporain ? », nous demandions-nous ê la rédaction il y a peu. Nous étions restés muets. La trajectoire du Rollois serait aussi singulière, en dehors du cinéma comme il nous le déclarait en avril dernier, que sans descendance, « des enfants, je n'en ai pas », disait-il.

Du cinéma habite par un esprit godardien

Il n'a pas tort. À ceci près que, en trois films et une vingtaine de courts métrages, Jean-Gabriel Périot trace un territoire de cinéma habité par un esprit godardien - encore faut-il préciser lequel, tant il a muté entre ses films de la Nouvelle Vague et les œuvres de montage de la période actuelle.

Nos défaites érige une passerelle entre les films de la période Mao (1967-1973) et les œuvres plus récentes, où la question du remake est sous-jacente.

Remakes est le titre du premier chapitre du Livre d'image, le premier doigt de la main, celui qui pointe tant la façon dont les conflits d'hier se répètent aujourd'hui – « te souviens-tu encore comment autrefois nous entraînions notre pensée » - que le rapport qu'entretiennent le cinéma, l'Histoire et le réel. Nos défaites a, à son échelle, la même empreinte digitale.

Entre remakes et entretiens

Entre septembre 2017 et juin 2018, Jean-Gabriel Périot a mené un atelier de cinéma avec des lycéens. Il en a tiré un film qui prend la forme d'une rigoureuse alternance entre deux types de séquences. La première consiste en une série de remakes de scènes issues du cinéma militant post-68 (Groupe Medvedkine, La Chinoise de Godard, La Salamandre d'Alain Tanner…) entièrement réalisés par les élèves.

La seconde revient sur ces scènes lors d'entretiens où Périot interroge ces jeunes gens sur la façon dont la parole politique qu'ils viennent d‘interpréter résonne en eux. Voir ces corps juvéniles se glisser dans les fantômes du passé, pour, une fois revenus du monde des morts, parler de leur expérience, est déjà en soit sublime et passionnant. Mais cette ambition fétichiste n'est pas l'horizon du film.

Dans ses deux premiers longs métrages, Une jeunesse allemande (2015), un montage d'archives sur la bande ê Baader, et Lumières d'été (2016), une fiction douce-amère déambulant dans le Hiroshima contemporain, Périot explorait la façon dont le cinéma chausse les souliers de l'Histoire pour faire avancer le présent.

Un présent vivant figé et un passé fantomatique enflammé

Mais cette croyance se heurte ici à ce que sous-tend le titre du film : le constat, banal et dressé avec bienveillance, de l'apolitisme de la jeunesse contemporaine et du fossé qui la sépare de celle de 68. Reste que le film construit un pont entre ces deux jeunesses et qu'on ne revient jamais intact du monde des morts.

Dans le dernier tiers du film, la dialectique entre un présent vivant mais figé et un passé fantomatique mais enflammé est perturbée par un événement inattendu. Il engendre la fusion des deux temps du film.

Le cinéma devient témoin de la naissance d'une pensée politique actuelle. C'est pourquoi Nos défaites est finalement optimiste. Si le film acte l'échec du cinéma comme détonateur d'un engagement politique, il le célèbre dans sa capacité à mettre une pensée au travail.

 

Bruno Deruisseau
Les Inrocks
4 octobre 2019